Black Village (LITT FRANCAISE) (French Edition) by Lutz Bassmann

Black Village (LITT FRANCAISE) (French Edition) by Lutz Bassmann

Auteur:Lutz Bassmann [Bassmann, Lutz]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Verdier
Publié: 2017-08-23T21:00:00+00:00


19. AVEC YOÏSHA

J’avais quatre ans, mon petit frère avait un an de moins, nous vivions à la fois dans les ruines du ghetto Adiana Dardaf et dans un monde où, en dehors d’un cercle de proches, tout était sorcier et inexplicable. Ce monde était peuplé de rumeurs, de personnages impressionnants, de combattants masculins ou féminins, drapés dans des manteaux qui sentaient le feu et la poussière, de femmes qui filaient comme des ombres, d’infirmières jeunes ou moustachues, de grands-mères silencieuses et de grands-mères vociférantes, et nous devions là-dedans trouver la voie de notre indépendance et de notre bonheur de petits animaux, quitte, si quelque chose allait mal, à nous replier dans nos enfantines ténèbres et à ne plus en bouger. Les inconnus que nous croisions sur le palier ou dans les couloirs parfois s’arrêtaient à notre hauteur pour nous toucher la tête ou nous poser de bienveillantes questions sur notre âge, sur nos animaux préférés ou sur les héros rouges que nous admirions. Nous avions tendance à les voir comme des oncles quand il s’agissait d’hommes et comme des tantes quand il s’agissait de femmes, mais, la plupart du temps, nous nous contentions de constater leur simple qualité d’adultes, illustrée par leurs odeurs d’adultes et leur manière de s’adresser à nous comme si nous étions des retardés mentaux, de nous câliner le crâne en riant, ou en pleurant, car certains étaient émotifs, et ensuite de nous abandonner pour s’occuper de tout autre chose, comme si nous leur avions brusquement déplu ou comme si nous ne comptions absolument pas pour eux. De ces gens, nous attendions peu, mais nous avions toujours de l’affection en réserve et, jusqu’à ce qu’ils se redressent après s’être penchés vers nous, jusqu’à ce qu’ils nous délaissent, nous nous comportions en leur présence avec docilité et patience. Nous ne protestions pas quand ils nous dérangeaient dans nos jeux, nous nous tenions presque au garde-à-vous devant eux, pour accueillir leurs postillons et leurs caresses qu’ils souhaitaient douces mais qui nous paraissaient rudes, et pour répondre avec sérieux à leurs interrogations incongrues.

Il y avait dans une chambre voisine de la nôtre un endroit, doté d’un lit de fer, d’une armoire de fer et d’une chaise, où des adultes de ce genre, des oncles et des tantes dont nous ignorions le nom ou que nous confondions entre eux, pouvaient passer plusieurs jours sans ouvrir la porte, sinon pendant la nuit où ils profitaient du calme régnant dans les couloirs pour aller se débarbouiller et faire leurs besoins. Ils se mêlaient le moins possible de la vie en cours dans la maison, on les voyait rarement s’asseoir à la table du réfectoire ou participer aux assemblées générales. Ils essayaient de se faire oublier et glissaient le long des murs comme des ombres, et, même si c’était du monde extérieur et de la rue qu’ils se cachaient, ils vivaient avec nous dans une semi-clandestinité. Ils arrivaient en général en compagnie de mon père, qui les avait guidés dans la ville le long des couloirs et des galeries les moins surveillés.



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